Judas , liberté ou fatalité?

J'ai lu attentivement l'évangile de Judas, dont il a beaucoup été question dernièrement,
et il me semble que, au milieu de propos cosmogoniques assez ésotériques, il
y a une tentative d'intégrer Judas dans le plan divin. Et il est vrai que, dans
les quatre évangiles, la part qui est faite entre liberté et fatalité dans la trahison
de Judas Iscariote n'est jamais la même? Est-ce une marge de lecture réelle,
ou bien est-ce que des éléments textuels permettent de trancher dans un sens
plutôt que dans l'autre?
Merci,
Cricri
Cher Cricri,
D'abord excusez-nous pour le temps mis à vous répondre, certainement dû au fait
qu'il y a eu plusieurs questions en même temps sur ce thème (cf. surtout la
réponse de Hélène Küng à une question du 18.04.06). Votre question est toutefois
un peu différente, car elle met l'accent sur le traitement de Judas dans les textes évangéliques.
Il est intéressant de voir en effet une évolution dans la manière de présenter
le geste de trahison et sa motivation dans les évangiles canoniques: Un des
textes clefs est le dernier repas de Jésus avec ses disciples et l'annonce de
sa trahison: Marc et Matthieu présentent une annonce très générale : "L'un de
vous me trahira" et ce qui est fascinant, c'est que chaque disciple, l'un après
l'autre, demande attristé : "Est-ce moi?" Donc la trahison est une possibilité
permanente de la condition de disciple! Une possibilité aussi pour le lecteur qui peut
ainsi s'identifier à Judas. Là, la liberté est mise en avant. Luc déjà supprime
cette question, il n'y a que Judas qui est visé, les autres disciples sont épargnés.Chez
Jean, Jésus donne la bouchée à Judas, le désignant ainsi comme le seul traître,
et lui ordonnant même d'accomplir au plus vite sa basse besogne; Jean présente
par ailleurs Judas comme un homme avide d'argent et voleur. Là, c'est comme
si tout était déjà déterminé, et Judas n'a plus qu'à jouer son rôle dans le grand
plan divin qui le dépasse.
Il me semble qu'il y a de réelles marges de lecture, et qu'il y a un danger
de faire de Judas un être intrinséquement mauvais et pervers ou le simple jouet
du dessein divin, on en fait alors un être à part auquel nous ne pouvons plus
nous identifier. Marc et Matthieu me semblent plus interpellant quand ils nous présentent
Judas comme l'un des douze, un disciple comme vous et moi, et la trahison comme
une possibilité permanente de tout disciple! Ils nous placent alors devant un
vrai choix et devant notre responsabilité de disciple du Crucifié.