le piétisme est avant tout un
mouvement de rénovation, de réveil, ou pourrait-on dire - car le piétisme se
réclame souvent du "jeune Luther" - de réforme des Eglises
protestantes (luthérienne et réformée, mais aussi anglicane). Ces Eglises
étaient à l'époque crispées dans les luttes confessionnelles et n'offraient
plus guère de réelle substance spirituelle. On date classiquement l'émergence
du piétisme de la publication des Pia
desideria de
Spener en 1676, traité qui appelle à un réveil de l'Eglise luthérienne par le
moyen d'assemblées d'édification mutuelle autour de la Bible. Il semble toutefois que Spener ne soit qu'une voix
parmi d'autres, qui se sont élevées dans plusieurs pays et cadres
confessionnels différents à la même époque, pour réclamer une "religion du
cœur" et une pratique spirituelle vivifiante (une "piété" comme
on disait en ce temps là) au sein des Eglises protestantes, sans qu'il y ait
forcément un lien entre toutes ces revendications : les mêmes besoins
spirituels appelant le même type de réponses.
D'abord, le piétisme met
en avant un christianisme vécu, une pratique spirituelle capable de transformer
l'être humain et de lui permettre de vivre sa foi au cœur de son quotidien.
L'insistance sur ce christianisme vécu comporte la critique d'une foi purement
intellectuelle ou dogmatique. Le piétisme met l'accent aussi sur une rupture du
fidèle d'avec son ancien mode de vie et d'avec le monde; c'est l'expérience de
la conversion, qui peut être subite ou progressive, au gré d'un cheminement
intellectuel ou spirituel personnel. Il n'y a pas encore dans le piétisme
originel de codification de la conversion (comme ce sera le cas dans le
piétisme de Halle et dans le méthodisme par exemple, suivis sur ce point par la
plupart des Eglises "évangéliques"). Le piétisme insiste aussi sur la
sanctification qui est le fruit de la justification; il ne remet pas en cause
le principe de la "justification par la foi", mais il condamne ce que
Bonhoeffer nommera plus tard "une grâce à bon marché", une vision
purement extérieure de la justification, qui ne provoque aucun changement
intérieur et sert même d'oreiller de paresse à des chrétiens spirituellement et
moralement endormis.
Le piétisme demande aussi
un retour à la Bible
comme seule autorité en matière de foi et de vie; cette insistance ne conduit
pas fatalement au fondamentalisme, qui viendra souvent se greffer plus
tardivement sur le piétisme historique, mais constitue une critique de deux
déviations des Eglises de l'époque : dans les universités, en effet, on
pratiquait soit une lecture dogmatique de la Bible, qui conduisait à des luttes
confessionnelles stériles ("orthodoxie confessionnelle") soit une
lecture rationaliste, qui vidait le texte saint de toute autorité et de toute
saveur. Les piétistes préconiseront une lecture spirituelle de la Bible pour y rechercher une
Parole actuelle de Dieu qui s'adresse au cœur de chaque lecteur.
Enfin, il y a chez les
piétistes une revalorisation du "sentiment" (ou de l'émotion) comme
moyen d'accès à la connaissance de Dieu (contre la raison): l'amour pour Dieu
l'emporte sur tous les raisonnements au sujet de Dieu. Parler à Dieu dans la
prière est bien préférable que de parler de Dieu du haut d'une chaire. Il faut
ajouter à cela une volonté missionnaire importante - les premières missions
protestantes sont issues du piétisme -, la "lutte contre les fléaux
sociaux", qui a permis la création de nombreux foyers, orphelinats,
hôpitaux, bref un engagement qu'on qualifierait aujourd'hui d'humanitaire, et
un réel succès populaire grâce à la simplicité du message.
[i] Cf.
la traduction française de ce texte : Philipp Jacob SPENER, Pia desideria ou désir sincère d'une
amélioration de la vraie Eglise évangélique, Paris, Arfuyen, 1990.