Jésus violent ?
Certes, il y a le Jésus des Béatitudes, le Jésus de l’amour du prochain, de l’amour de ses ennemis, mais il y a aussi un Jésus de colère et de haine qui traverse les évangiles. Ce n’est pas celui qui a été mis en lumière par l’Eglise, laquelle a toujours voulu lire comme allégories toutes les phrases problématiques prononcées par le personnage de Jésus. Mais pour qui sait lire, c’est-à-dire être tout simplement attentif à ce qui est écrit plutôt qu’à ce qu’on croit avoir lu, il y a dans les évangiles un versant noir de Jésus.
Cette face noire a tellement été gommée que rappeler son existence paraît purement inimaginable, voire indécent, aux yeux des chrétiens, bien sûr, mais aussi des laïcs. Les manuels scolaires de l’Education nationale, par exemple, se plaisent à évoquer «le message d’amour de Jésus», comme une évidence! Alors au petit jeu des citations, nul n’est sûr de gagner. «Je suis venu jeter le feu sur la terre», s’exclame Jésus, en bon disciple de Jean le Baptiste, au début de l’évangile de Luc, 12, 49 … «N’allez pas croire que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix mais le glaive. Car je suis venu opposer l’homme à son père, la fille à sa mère et la bru à sa belle-mère: on aura pour ennemi les gens de sa famille» (Matthieu 10, 34-36, repris par Luc 12, 51-53).
Le jeu des citations est une guerre sans fin. Regardez plutôt: quelques chapitres après cette phrase, toujours dans l’évangile de Matthieu, on peut lire une autre qui en offre le démenti: «Tout ceux qui prennent le glaive périront par le glaive» (Mt 26, 52). On ne saurait mieux dire une chose et son contraire – et l’évangile de Matthieu en multiplie les exemples.

Si je comprends bien il ne s’agit pas d’une question, mais d’une
thèse qui consiste à montrer à partir de quelques versets que Jésus n’était pas
qu’amour mais aussi colère et violence, en tout cas dans ses paroles ! Et
puis en prenant des versets cités hors contexte, vous voulez montrer que les
Evangiles se contredisent. Je vous rappelle deux règles élémentaires dans
l’étude de textes :
- Pour découvrir le
sens d’une phrase, il s’agit de la situer dans son contexte. Sinon on risque des interprétations
tendancieuses, fantaisiste, voire totalement erronées.
- Il s’agit ensuite de repérer le genre littéraire du texte. Je ne peux pas lire un conte comme un récit historique, un poème comme un texte de loi, un compte rendu scientifique comme un discours politique, un récit de miracle comme une parabole… Sinon, on arrive à des contresens problématiques qui trahissent le texte.
Je suis au regret de vous dire que ce sont les travers dans lesquels vous êtes tombé. En effet, le verset «Quant à ceux qui n’ont pas voulu que je règne, égorgez-les en ma présence» (Luc, 19, 27), fais partie d’une parabole de Jésus. Or qu’est-ce qu’une parabole ? C’est une histoire imaginée, une sorte de conte qui utilise généralement des situations de la vie courante, par exemple liées à l’agriculture (parabole sur le semeur et les semences). Jésus, en bon pédagogue, se sert de ce procédé pour illustrer son enseignement. Ainsi une parabole ne concerne-t-elle pas des personnes que Jésus rencontrerait mais elle met en évidence des attitudes. Des attitudes que Jésus met en valeur parce qu’elle porte à vivre dans la confiance et la justice ou qu’il rejette parce qu’elles mènent à l’esclavage ou à la mort. C’est notamment le cas dans la parabole de Luc 19. Ici, comme dans la parabole des talents de Matthieu 25, Jésus montre que la personne qui reçoit sa vie (symbolisée par la mine ou le talent) dans la confiance fait fructifier sa vie et ses relations, il connaît la joie de vivre. Alors que celui qui ne reçoit pas sa vie dans la confiance, qui vit de méfiance et de haine à l’égard des autres et de Dieu, enterre sa propre vie. Ce qui revient à se construire un maître dur et cruel qui jette dehors, dans les pleurs et les grincements de dents, un maître qui égorge. Reconnaissez que lorsque quelqu’un est dans la méfiance et la haine de l’autre, non seulement il fait mal à l’autre mais il se détruit lui-même. Il arrive qu’un couple, abandonnant l’amour et la confiance qui les lient, entre dans des conflits cruels et destructeurs, on se jette dehors dans le pleurs (Matthieu 25.30). On pourrait aussi prendre l’exemple des régimes politiques qui ont refusé le règne de la justice et se sont construits sur la haine de l’autre différent (par exemple le nazisme). Ils sont devenus des maîtres qui ont égorgé des millions de personnes.
Dans le récit de la guérison d’un homme dont la main est
paralysée et qui est rejeté par les chefs religieux (Marc 3.1-6), on voit Jésus
en colère contre ceux-ci, parce qu’ils écrasent la dignité d’un être faible, et
cela au nom de Dieu. Même indigné, jamais Jésus ne fait usage de violence.
Lorsqu’on l’arrête, Pierre veut le défendre et sort son épée pour tenter
d’assommer un serviteur du grand prêtre. Jésus lui dit : « Remets ton épée à sa place, car tous ceux
qui prennent l'épée périront par l'épée. » (Matthieu 27.52)
Le
message de justice et d’amour de Jésus a entraîné des réactions variées.
L’adhésion ne fut pas unanime ! Loin s’en faut. Faut-il rappeler que Jésus
a été crucifié pour cause de blasphème contre Dieu, car il annonçait l’amour et
le pardon de Dieu ? Son message d’amour a paradoxalement provoqué des
conflits, il a apporté le glaive ! (Matthieu 10, 34-36, Luc 12, 51-53), mais il ne l’a jamais porté. L’amour n’empêche pas d’être
lucide. Jésus était conscient des conséquences de son message. Combien d’hommes
et femmes porteurs de ce messsge ont connu le même sort. La force d’aimer (titre d’un de ses livres) non-violente de Martin Luther
King a entraîné son assassinat.
Bel exemple de la parole de Jésus.
Donc, attention à ne pas construire un raisonnement en se basant
sur des phrases sorties de leur contexte et dans l’oubli de leur genre
littéraire.