12'000 et 40'000 morts dans des batailles, c'est beacoup !
- Jos 8:25 Le texte mentionne 12 000 morts lors de la prise d'Ai.
-2 S 10:18 Ce texte là nous donne un chiffre encore plus élevé lors d'une bataille menée par David : 40 000 morts !
M'interessant à l'Histoire en général, je me suis rendu compte que ni certaines batailles Napoléoniennes ni celle de Verdun n'ont engendré autant de victimes en une seule journée.
Donc, que pensez des chiffres stupéfiants donnés pour ces batailles dans l'Ancien Testament ? Erreurs de copistes ou volonté délibérée de mettre en avant les conquérants de l'Ancien l'Israel ?
Dans l'attente de vos précisions, je vous remercie par avance.
Jean-Baptiste.
Cher Jean Baptiste,
Votre intérêt pour l’histoire vous conduit spontanément à aborder les textes bibliques comme des chroniques historiques, rédigées par des témoins oculaires des faits ou tout au moins sur la base de faits historiquement constatés. C’est donc tout naturellement que vous posez la question de la véracité des chiffres dans les passages que vous citez en exemple. La Bible n’a pas la prétention d’être une chronique historique, mais le témoignage d’une aventure de foi où la vérité spirituelle l’emporte sur la véracité historique. Et ceci, même si la Bible peut s’inspirer de l’histoire (au sens où nous l’entendons aujourd’hui) et que sa construction s’inscrit dans une histoire.
Car les textes bibliques sont le fruit de rédactions successives, de compilations et d’interpolations que les exégètes arrivent de mieux en mieux à décrire aujourd’hui. C’est ainsi que les deux textes que vous citez, font partis de ce que l’on nomme l’Ecole deutéronomiste qui est à l’origine du livre du Deutéronome et de la structure historiographique des livres de Josué, Juges, Samuel et Rois. Cette « Ecole » se déploie dans un contexte post exilique, c’est à dire après la prise de Jérusalem (- 587) par les babyloniens et la déportation d’une partie de la population en Mésopotamie. Les textes que vous citez ont donc été rédigés à un moment où Israël n’est plus installé sur la terre promise et à peu près 500 ans après les événements qu’ils sont supposés relater. L’intention du « deutéronomiste » n’est de constituer une chronique historique, mais de donner, par une relecture spirituelle de son histoire véhiculée par de multiples traditions anciennes, un sens à la catastrophe que constitue la prise de Jérusalem et la déportation. Ce sens, il le trouve autour d’une idée simple : Dieu a fait alliance avec Israël, lorsque ce dernier est fidèle à cette alliance alors Dieu protège et donne la victoire, mais lorsque ce dernier est infidèle, alors Dieu livre Israël à ses ennemis. Une relecture de l’histoire d’Israël montre l’infidélité de ce dernier et explique alors la catastrophe de – 587.
Venons en maintenant à la question des chiffres présents dans les textes cités. Ces derniers ne sont pas historiques au sens d’un compte rendu historique, mais ils ne viennent pas de nulle part. Leur mention s’inscrit dans un contexte culturel global (Mésopotamie et Egypte) de communication politique où Pharaon ou tel roi assyrien faisaient ériger des stèles de victoire mentionnant des chiffres similaires à ceux de la Bible et tout aussi peu historiques. Dans ce contexte, les chiffres bibliques ne pouvaient décemment pas leur être inférieurs sous peine de ne pas paraître crédible dans le contexte proche oriental ancien. Par ailleurs, le chiffre 1000 a une portée plus grande que simplement numérique : il indique une quantité qui est au delà de ce qui est communément représentable. Pour le dire simplement : 1'000 c’est beaucoup, beaucoup ! Alors 40'000, c’est 40 x beaucoup, beaucoup ; autrement dit l’auteur suggère par là que cette bataille fut particulièrement sanglante sans que le chiffre ne soit en rapport avec le nombre précis de victimes. Il faut encore préciser que 40 est dans la Bible un chiffre associé à l’attente longue et difficile (40 jours du déluge, 40 ans dans le désert entre Egypte et Terre promise, 40 jours de tentation dans le désert, etc.). Associé à 1'000, 40 suggère que la bataille fut longue, difficile et sanglante.
Cet usage culturel des chiffres est une volonté délibérée, non pas afin de mettre les conquérants en avant (ce n’est qu’une conséquence secondaire d’un point de vue narratologique), mais plutôt de mettre en avant les conséquences positives, au delà de toute attente, de la foi en Dieu : il donne la victoire.
J’espère avoir ainsi pu répondre à votre question et vous souhaite des lectures bibliques passionnantes.