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Pourquoi un auteur comme Maître Eckhart n'est-il pas plus connu?

jahvince 09.03.2010 Thème : Spiritualité et prière Bookmark and Share
Réponse de : Michel CornuzMichel Cornuz

Bonjour,

 

Vous posez la question de la réception des auteurs qu'on a l'habitude d'appeler les "mystiques" dans les Eglises et parmi les croyants de ces Eglises. Pas évident de répondre de manière unilatérale. Je vais simplement donner quelques hypothèses... Peut-être vous-même en posant cette question avez aussi quelques idées de réponses?

D'abord, j'aimerais dire que ces auteurs "mystiques", souvent peu connus des fidèles des Eglises peuvent être connus et appréciés de personnes engagées dans une voie spirituelle, mais en marge des Eglises. Leurs oeuvres sont maintenant très accesibles en livre de Poche, et il y a d'excellentes introductions. Donc d'un côté une certaine méconnaissance dans les Eglises, de l'autre un certain "succès" (tout est relatif!) ou du moins un certain intérêt auprès de personnes éloignées de l'Eglise. Peut-être que nous avons là la première cause de la méfiance vis-à-vis de ces écrivains dans l'Eglise: Le fait que les "mystiques" soient à la mode, soient aussi "récupérés" par des spiritualités quelque peu marginales permet à certains de les qualifier comme "Nouvel Age" et donc de les rejeter sans les lire! Réponse "sociologique" donc...

D'une certaine façon, ces mystiques ont souvent eu des problèmes avec l'Eglise officielle: Maître Eckhart a été déclaré hérétique...et il n'est réapparu pour un large public que récemment! En fait, l'Eglise institutionnelle a sorti quelques propositions hors contextes pour les juger hérétiques, façon de faire pour se débarrasser d'une pensée dérangeante; Mme Guyon a été longtemps emprisonnée et a été taxée de "quiétisme", son ami et défenseur Fénelon a été censuré...Même st Jean de la Croix qui est le modèle catholique de la mystique aujourd'hui a subi des persécutions de la part de son Ordre qu'il voulait rénover. Pourquoi donc tant d'acharnements?

Le point principal est qu'en présentant un chemin d'union avec Dieu de manière directe, les mystiques relativisent les médiations humaines (et donc ecclésiastiques): les autorités institutionnelles, les rites, les dogmes, la morale "bourgeoise", tout cela est secondaire par rapport à l'expérience personnelle bouleversante d'union à Dieu par le Christ. Les mystiques se réclament donc de leur expérience et non d'une autorité extérieure. C'est aussi pourquoi, ils peuvent présenter un christianisme non moraliste, comme vous le dites; c'est pourquoi aussi, cette expérience peut rejoindre l'expérience de spirituels d'autres religions et que des ponts entre traditions peuvent se construire (notamment entre Maître Eckhart et les religions orientales) à un niveau qui n'est plus simplement dogmatique ou institutionnel. Je crois que c'est pour cela que les mystiques sont "à la mode" dans notre société plurireligieuse auprès des "chercheurs de Dieu", alors qu'ils le sont moins chez des "chrétiens" qui veulent se définir par leur identité confessionnelle.

Enfin, les mystiques en proposant leur chemin personnel d'union à Dieu et leur expérience nous invite à suivre notre propre chemin...en nous offrant quelques balises, mais ce chemin, chacun a à le faire! N'est-il pas plus rassurant pour beaucoup de suivre un chemin tracé par d'autres? de se bétonner dans une identité fermée? de s'accrocher à un dogme , à une morale qu'on aimerait imposer à d'autres? Les mystiques sont des hommes et femmes libres, j'ai peur que beaucoup de chrétiens ne s'enferment aujourd'hui dans une foi bétonnée et une identité exclusive. 



Commentaires

  • jdevriendt11.03.2010
    J’ai lu votre réponse, et ensuite ai regardé quel était ce blog... Car oui, on en parle beaucoup de Maître Eckhart. On en parle d’autant plus qu’on le lit peu, semble-t-il. Il reste toujours un certain chic à afficher des horizons officiellement ardus dans la liste de nos trophées. Outre la très bonne réponse donnée ici, qui explique en partie, la jalousie et l’épaisseur humaine faisant le reste, pourquoi Eckhart fut dénoncé et traduit en procès en 1329, les mystiques restent décourageants. Ce n’est pas un hasard si Maître Eckhart a été rapproché des maîtres Extrêmes Orientaux : il a été ajouté à une recherche de spiritualité séculière, et plus matérialiste qu’on ne le croit, la même qui depuis le XIXe nous présente une pensée chinoise sans dieux, alors que le sacré et les esprits y règnent. Les mystiques, réduits à quelques aphorismes, se sécularisent à merveille. Dès que la pensée cherche le texte autour de ces aphorismes, l’effort de pensée demandé suffit à prétexter de remettre la tâche à un autre lendemain. Nous avons dès lors la mémoire que nous méritons. Que S. Dali se soit inspiré de croquis de Jean de la Croix pour ses Christs si étranges : qui s’en soucie ? Qu’Eckhart, Tauler aient vécu dans le couvent où ensuite viendra Jean Bucer, un père de la Réforme : quelle importance ? En faisant de ces maîtres des bouddhas chrétiens, à l’enseignement réduit, on s’achète une estampille de culture. Nous travaillons à traduire, exposer les œuvres de ces grands auteurs. Mais cela bouscule à la fois les orientalistes, et les habitudes chrétiennes : comment ne pas être étonnés que la finalité de la vie chrétienne, pour eux comme pour beaucoup de médiévaux, soit de « devenir par grâce ce que Dieu est par nature », donc de devenir chacun dieu en Dieu, et d’enfanter Dieu dans le fond de notre âme ? Jean Devriendt, Équipe de Recherches sur les Mystiques Rhénans, Univ. Metz., 57 Fr, http ://maitre.eckhart.free.fr