Dieu peut-il être à l'origine du mal?
J'entends par là, si Dieu est parfaitement bon et aimant, peut-il avoir volontairement créé quelque chose de mauvais ?
Si non, alors d'où vient le mal originel ? Si Dieu ne l'a pas créé, c'est donc que Dieu n'est pas à l'origine de toutes choses et qu'il ne contrôle pas tout non plus (puisque quelque chose a été créé/est apparu sans sa "permission"). Si Dieu est à l'origine du mal en revanche, pourquoi l'a-t-il créé ?! Et surtout, dans ce cas-là je ne pense pas qu'on puisse alors le considérer comme "parfait", "parfaitement bon" ou encore "totalement amour". Parce que le mal engendre forcément la souffrance, et qu'un Dieu "parfait" ne peut l'ignorer..
D'autre part, si Dieu est en dehors du temps, qui est tout-puissant et qu'il sait tout, passé et avenir, alors pourquoi avoir laissé Adam pécher ? Je connais les hypothèses qui disent que cette possibilité était justement une liberté laissée à l'Homme qui était la preuve même de l'amour de Dieu, mais à mon sens c'est une ineptie. Si Dieu savait que l'Homme risquait d'être tenté et donc de corrompre non seulement lui-même, mais aussi toute la création et toutes les générations, les milliards d'êtres humains à venir, et que tous connaîtraient le malheur à cause de ce premier homme, alors Dieu aurait du donner un peu plus de sagesse à cet homme-là pour qu'il comprenne les enjeux, ou bien simplement ne pas le tenter (sachant qu'il succomberait !).
Sans compter qu'on parle toujours de la soi-disant justice de Dieu ; mais un Dieu qui rejette la faute d'un homme sur ses descendants à venir jusqu'à la fin des temps, c'est-à-dire des créatures qui n'ont rien demandé à personne, qui seraient innocentes sans le péché de leur père... C'est ça que vous appelez une justice parfaite et idéale ? Et tout ceux qui mourront dans la misère, la souffrance, victime de la barbarie et de la cruauté de leurs semblables, ou simplement de la loi du plus fort du monde vivant, tous ceux nouveaux-nés qui mourront de maladies, c'est ça la justice ? Des milliards de milliards de condamnés, parce que leur aïeul commun, il y a mille ou dix mille générations, aura manqué de jugeote et aura été incapable de suivre un seul, un unique ordre ?...
Et pour en revenir à Adam, si Dieu n'était pas omniscient, au moins en le voyant pécher, corriger le tir. Dieu est censé être omnipotent, non ?
Alors envoyer un gars mourir sur une croix dans d'atroces souffrances, tout ça pour sauver une poignées de bienheureux élus (qui, tout-de-même, en auront bien baver dans leur vie terrestre), tandis que l'existence de la Terre aura été traversée par des boucheries humaines, des épidémies, des catastrophes naturelles et la souffrance ininterrompue de milliards d'êtres vivants, était-ce vraiment la meilleure solution qu'il avait à nous proposer ? Pour quelqu'un qui est soi-disant omnipotent, je trouve ses pouvoirs plutôt limités ; pour quelqu'un qui est soit-disant "entièrement amour" envers sa création et ses créatures, je le trouve plutôt au mieux indifférent, au pire franchement sadique.
Admettons, comme les chrétiens le font, que Dieu est parfaitement bon et juste, et qu'il est omniscient : néanmoins, à cause de sa sainteté, il ne peut a priori pas faire l’expérience subjective de la fatigue, de l’oubli, de la culpabilité… ou du mal. Il peut bien sûr en avoir une représentation objective, mais il faut vivre un sentiment pour pouvoir réellement le connaître. Donc Dieu, même s’il sait ce qu’est le mal, ne peut pas l’expérimenter en lui-même et n’en est jamais la source.
Amettons ensuite, comme les chrétiens le font, que toutes choses ont Dieu pour origine suprême, en cause directe ou indirecte : dans le sens que même Satan a dû recevoir la « permission » de Dieu de disposer de tout ce qui appartenait à Job avant de le précipiter dans le malheur (Job 1.12), ou que Saül fut tourmenté par un mauvais esprit « envoyé par l’Eternel » (Sam 16.14). Dans ce dernier cas d’ailleurs, j'imagine qu’on considère qu’il s’agit du même type de permission qu’avec Job, puisque un esprit mauvais ne peut directement provenir de Dieu, n'est-ce pas ?
L’on explique le mal sur terre à cause du péché originel, et la cause de celui-ci est le serpent, donc Satan. D'après les théologiens, on considère souvent qu’Esaïe 14 et Ezéchiel 28 se rapporte à lui : on décrit donc Satan comme l’ange Lucifer, créé par Dieu, le plus beau, le plus sage et le plus intelligent des anges, qui aurait voulu prendre la place de Dieu et aurait provoqué sa propre chute, laquelle serait définitive.
Alors comment expliquer qu’un être créé par Dieu (qui n’est donc jamais l’origine du mal) ait pu passer d’une connaissance objective du mal (que les anges auraient sans doute, puisqu’il semble que certains se seraient laissés entraînés dans la chute de Lucifer, tandis que les autres auraient choisis de résister à la tentation, parce qu’ils savaient que c’était mauvais) à une expérience subjective en choisissant de la pratiquer ? Les anges ne sont peut-être pas « créés à l’image de Dieu » comme le sont les humains et ils sont peut-être différents, mais Dieu n'aurait a priori pas pu créer une créature corrompue par le péché. A l'origine, Lucifer devait donc être "pur"... mais d’où vient alors l’envie qui l'aurait poussé à se rebeller contre Dieu, puisque Dieu n’en est pas à la source ? Le mal existerait-il par lui-même ? Ce serait nier la "souveraineté de Dieu" !
(D’ailleurs, si Lucifer était si intelligent et sage, comment a-t-il pu réellement penser qu’une rébellion contre Dieu pourrait aboutir et lui être profitable ? Lui qui connaissait Dieu, qui le côtoyait, comment a-t-il pu jalouser et vouloir la chute de Dieu, si ce dernier était si parfait que ça ?)
Enfin, et je m'arrêterai là : Si la Bible dit vraie, existe-t-il une liberté de l'Homme dans son "salut" ?
J'entends par là qu'il faudrait être fou ou masochiste pour se destiner volontairement à des tourments et une souffrance éternelle ; le "vrai" choix semble donc assez limité. D'un autre côté, peut-on encore parler d'un choix si on y est forcé ?
A notre naissance, on nous balance dans un monde dont on ne sait rien ; un monde qui se révélera beau et merveilleux par certains aspects, certes, mais essentiellement dangereux, perverti et porteur de souffrances. Alors qu'on me pardonne si j'espère qu'après la vie, il n'y a plus rien ! Je me fiche bien d'une vie éternelle, même "parfaite, je n'en veux pas (surtout si elle est aussi "parfaite et cool" que le Dieu dont vous parlez) ; le "repos" éternel, en revanche, m'irait parfaitement. Et quand je dis "repos", cela signifie "du rien".
Mais si, parce que le monde créé par Dieu (dans lequel Dieu m'a balancée sans rien me demander), j'ai été incapable de me laisser convaincre par son bouquin, parce que rien de ce qu'il y disait n'était en adéquation avec ce que je voyais et vivais (malgré mes "recherches spirituelles" sincères, ma bonne volonté et ma persévérance naïve) et qu'à cause de cela je suis condamnée à une éternité de souffrance, alors ne venez pas me parler de justice parfaite divine.
Ceci n'est pas un épanchement de colère ou je ne sais quel autre message provocateur. Il s'agit bien de questions, de vraies questions, et je vous serai reconnaissante si vous y répondiez, en toute bonne foi. Merci.
Merci pour votre longue question argumentée. Vous me permettrez de répondre de manière un peu plus sommaire... Il est dans la foi des choses qui ne s’argumentent pas comme en politique, mais qu’il s’agit de vivre de l’intérieur, dans le dialogue intime (la prière) avec le Tout-Autre, qui est aussi le Tout-Aimant. C’est alors seulement qu’on se met à entrer dans une compréhension, qui ne reste jamais purement extérieure et intellectuelle. Comme l’écrivait François Mauriac, dans son Bloc-notes : « Dieu n’est pas un concept, il est quelqu’un ! »
Car voilà, je crois, le cœur de la réponse à vos questions : la tout-puissance de Dieu n’est que celle de l’amour. C’est dans l’amour que Dieu est tout-puissant. Oui, Dieu ne peut qu’aimer : il ne peut donc jamais être à l’origine du mal, quel qu’il soit ! Et sa toute-puissance n’est pas de l’ordre de la violence, qui terrasserait le mal : seul son amour peut, s’il est accueilli dans la gratuité et librement, vaincre le mal par le bien (toujours vulnérable) qu’il produit.
Plus que de péché originel (ou de mal originel, comme vous dites), il faut comprendre le mal comme cette réalité profonde qui se trouve blottie à notre porte, tentant de nous séduire, et que nous sommes appelés à dominer (voir Genèse 4,7) : le mal nous habite, et nous devons lutter contre. Nous ne le subissions donc pas en raison de la faute d’un aïeul désobéissant, il n’est pas la conséquence ou la répercussion d’un acte passé sur les générations suivantes : c’est nous qui sommes responsables de nous-mêmes et de nos actes.
Mais alors pourquoi connaissons-nous le mal ? C’est un « mystère d’iniquité », comme le définit l’apôtre Paul (2 Thessaloniciens 2,7). Banalement, on pourrait dire que sans le mal, on ne connaîtrait pas le bien, et notre liberté serait un leurre. Plus profondément, il s’agit de reconnaître que cette force est à l’œuvre, en discernant également qu’elle ne provient pas de Celui qui, je le répète, ne peut qu’aimer. Et qui, pour cette raison, va jusqu’à subir le mal et le porter avec nous.
Pour comprendre que Dieu a porté le mal, et jusqu’à quel point va son amour et sa solidarité avec nous, il faut contempler la croix : Dieu a accepté en son Fils de mourir librement et par amour, en raison du mal qui se déchaînait contre lui, dans les souffrances atroces et l’humiliante condamnation de la croix.
Voilà bien la singularité, la spécificité de la foi chrétienne que d’avoir au centre de son message le Seigneur crucifié, et de reconnaître dans la crucifixion de Jésus de Nazareth le récit qui manifeste avec le plus d’éloquence qui est Dieu. La croix, oui, la croix est le signe, le récit de la solidarité absolue de Dieu, en Jésus, avec les pécheurs, de son abaissement jusqu’à la condition de l’esclave humilié. De cette manière, tous les hommes qui connaissent cette situation de souffrance et de honte, de malédiction et d’anéantissement, d’impuissance face au mal, peuvent trouver Jésus à leur côté.
Oui, la réalité de toute croix est une énigme, que Jésus fait devenir mystère : dans un monde injuste, le juste ne peut qu’être rejeté, persécuté, condamné. C’est une nécessité ! Et Jésus, précisément parce qu’il a voulu « rester juste », solidaire avec les victimes du mal, a dû connaître ce choc de l’injustice du monde contre lui et le porter avec nous, pour nous.
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