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Comment pouvons-nous boire du sang ?

11.12.2003 Thème : Rites et fêtes chrétiennes Bookmark and Share
Réponse de : Jean-Charles BichetJean-Charles Bichet
Merci pour votre question, que d'ailleurs beaucoup de gens se posent.

Il est exact en effet que Jésus était un Juif pratiquant, et qu'il a été fidèle
à sa religion.
Il l'a pratiquée jusqu'au bout, de manière admirable, et surtout de manière
aimante.
Il est exact également que beaucoup des propos de Jésus étaient partagés à son
époque.
Les progrès de la recherche exégétique nous ont montré que sa condamnation à
mort, par exemple, ne peut pas avoir été motivée par son interprétation très
nouvelle et personnelle de la Tora.
C'était ce qu'on nous avait appris en théologie dans les années 1980, mais nous
savons maintenant que le judaïsme de l'époque de Jésus était extrêmement diversifié
et qu'on n'avait pas coutume de mettre à mort les gens qui pensaient autrement.
Cela dit, se pose le problème des causes de la mort de Jésus.
L'une des hypothèses les plus récentes, et que je retiens pour ma part, c'est
celle de son attitude critique à l'égard du Temple de Jérusalem.
Jésus, dans sa prédication, rejoignait Jérémie (au célèbre chapitre 7 du livre
de ce prophète), ce qui le rendait franchement insupportable.
Nous voyons des traces de cette polémique dans la rédaction plutôt embarrassée
des versets 55 à 59 du chapitre 14 de l'évangile de Marc. Ces versets sont difficiles
à interpréter, mais ils sont éloquents.
Cette position critique de Jésus vis-à-vis du Temple sera prolongée dans le
discours d'Étienne qui lui coûtera la vie (au chapitre 7 des Actes des Apôtres).
L'auteur de l'épître aux Hébreux, lui aussi, expliquera, de manière magistrale,
que le Temple de Jérusalem est périmé.

La question du Temple est donc l'une des grandes divergences entre les chrétiens
et les Juifs.
Les chrétiens croient que Jésus lui-même est le Temple nouveau, vers lequel
ils sont invités à s'approcher, dans lequel ils peuvent entrer.
À notre tour, nous pouvons devenir temples de Dieu, en laissant l'Esprit de
Jésus habiter en nous.

Il est toujours passionnant de montrer combien la foi, la religion et la tradition
chrétiennes s'enracinent profondément dans la foi, la religion et la tradition
juives, mais il est tout aussi important de souligner la rupture entre les deux
religions, de mettre en valeur le caractère nouveau du christianisme.

Ce caractère nouveau de la foi chrétienne imprègne profondément les Évangiles,
qui ne sont en aucun cas des reportages pris sur le vif, ni des comptes-rendus
des événements, mais des témoignages, des relectures méditatives et croyantes
des événements de la vie et de la mort de Jésus. Le récit de l'institution n'y
échappe pas.
Je me limiterai ici au cas de l'évangile de Marc.

Commençons par une remarque sur la formulation du verset 24 du chapitre 14
de cet évangile.
Stylisée et condensée, la formulation de ce verset montre qu'il est le fruit
d'une relecture chrétienne.
Le texte original grec porte en effet : "Ceci est mon sang de l'alliance", ce
qui ne peut provenir ni d'une source araméenne ni d'une source hébraïque, l'hébreu
et l'araméen étant, pour des raisons linguistiques et grammaticales, obligés
de répéter le mot "sang" (le français également d'ailleurs pour rester correct)
; une source hébraïque ou araméenne aurait dû avoir cette teneur : "Ceci, mon
sang, le sang de l'alliance."

Au moment où l'évangile de Marc (et les autres) a été rédigé, Jésus était déjà
ressuscité ; mieux : Jésus était vivant, comme il l'est pour toujours.
En lisant ou en écoutant cette parole : "Ceci est mon sang", c'est d'abord le
Christ ressuscité que nous écoutons et voyons présider son repas avec nous,
ses disciples.
Il y a ici un détail qui a toute son importance et qu'on a trop tendance à oublier,
c'est que nous affaire à une coupe : "Puis, il prit une coupe..." C'est la coupe
qui est ici mise en valeur, et qui forme le parallèle avec le pain. Non pas
le pain et le vin, mais le pain et la coupe.
La coupe est un symbole de l'hospitalité. En nous donnant sa coupe, Jésus nous
accueille et nous invite à entrer chez lui, en Lui.
Autre précision encore, cette coupe contient le sang du Christ ressuscité.

S'il est inimaginable qu'un Juif puisse boire du sang, cela ne veut pas dire
que nous en buvions !
Nous consommons en fait ce que des vignerons pourraient appeler poétiquement
le sang de la vigne, mais nous ne consommons pas de l'hémoglobine...
En buvant la coupe de l'hospitalité, qui devient pour nous coupe d'immortalité,
nous "ingérons" la puissance, la force de la vie, le sang du Christ ressuscité.
Le vin de la coupe devient réellement pour nous le sang du Christ.
La thématique du sang souligne la réalité de ce que Jésus veut nous donner :
sa force de vie.
Il y a ici ce que nous pourrions appeler un langage symbolique (celui du sang),
et un acte symbolique (celui de boire à la coupe).
Mais, comme tout acte symbolique authentique effectue réellement ce qu'il représente,
- et je crois que c'est le cas de la Cène -, je préfère parler de réalisme sacramentel.
Excusez mon jargon, mais je crois nécessaire de bien expliquer qu'en participant
à la Cène, nous ne consommons pas rituellement du sang (ce qui serait inimaginable
pour les Juifs), et pourtant nous ingérons bien, par la foi, le sang du Christ
ressuscité. C'est pourquoi je tiens à cette expression : "réalisme sacramentel".
Ce caractère concret de la formulation, en termes de sang, ce réalisme sacramentel,
trouvent leur appui dans la première lettre de Paul aux Corinthiens, aux versets
17 à 34 du chapitre 11,
et en particulier aux versets 28 à 30, qui sont saisissants de réalisme.

Tout cela pour vous dire que nous avons affaire à un texte liturgique plutôt
qu'à un document historique. Ce texte nous montre les transformations subies
par la tradition au cours des années ; il renvoie à l'institution d'un sacrement,
institution qui a eu lieu au cours du dernier repas de Jésus avec ses disciples.

La coupe est le signe de la fête, une anticipation du Royaume de Dieu ; elle
a été réinterprétée dans un sens communautaire (cf. Matthieu 26,29) : tous,
nous attendons de faire la fête avec le Christ.

Nous ne pouvons pas remonter aux paroles, aux faits et gestes mêmes de Jésus.
Peu importe, car nous ne sommes pas des historiens, et Marc non plus.
N'oublions jamais que nous avons toujours affaire à des réinterprétations des
événements de la vie et de la mort de Jésus à la lumière de Pâques.
L'important, c'est de recevoir notre part du Christ Ressuscité en vivant en
communion avec lui, qui se donne à nous comme nourriture et puissance de vie.

En espérant vous avoir un peu aidé, je vous souhaite, cher Arthur, bonne continuation
dans votre recherche.




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