Quel sens et quelle dignité au travail ?

Ce qui donne sens et dignité à mon travail, c'est qu'il soit reconnu. Pour que
mon oeuvre soit reconnue, il faut que je le sois aussi dans ma personne. Ce
n'est donc pas seulement un salaire convenable et proportionnel à ce que je
produis effectivement qui donnera sa dignité à mon travail. Il me faut encore
être reconnu comme un interlocuteur aussi bien par ceux qui me donnent ce travail
que par ceux qui en font usage. Pour que mon travail prenne sens, il faut que
me soit reconnu en d'autres termes le droit à la liberté (et que ce droit soit
reconnu à tout autre être humain). Je suis persuadé que ce droit de chacun à
la liberté (contre toute aliénation dont celle à un travail insensé) est ce
que demande la seconde table de la loi de Dieu. C'est donc par rapport à la loi
et non à la création que je définirais le droit de chacun à une reconnaissance
de son travail. La création n'est que le cadre dans lequel s'exercent ce droit
à la reconnaissance et le travail que j'effectue de manière responsable.

Quant à la possibilité d'une reconnaissance de la valeur de mon travail dans
l'économie capitaliste, je suis assez d'accord avec les analyses que Karl Marx
proposait dès les manuscrits de 44. La division du travail, par exemple, enlève
sens et reconnaissance à mon travail. Je ne pense toutefois pas que cela doive conduire
à la lutte des classes, mais à la lutte des travailleurs pour la reconnaissance
de leur travail et donc de leur personne et de leurs droits.

Tout ne dépend cependant pas du "système". Même dans le système capitaliste,
il est possible qu'un entrepreneur reconnaisse la valeur de la personne et du
travail de ses employés, se refuse à les réifier, leur reconnaisse leur droit
à la liberté... Je pense qu'il est aussi possible, de la part des consommateurs,
de faire des efforts pour reconnaître le travail des producteurs. Un timide
exemple est donné par la décision de payer plus cher son thé, son café, ses
bananes, etc. dans le cadre de l'Association Max Havelaar. Il en va encore de même lorsqu'on
tente d'intensifier le contact direct entre agriculteurs et consommateurs. cela
s'avère, il est vrai, beaucoup plus difficile en contexte industriel. Quant
au secteur tertiaire, la reconnaissance y devient à nouveau plus aisée.

Que faire lorsque je ne suis pas reconnu comme une personne et que mon travail
me paraît dénué de sens ? Je suis invité certes à prendre mes responsabilités
et à lutter pour la reconnaissance. Avant que celle-ci devienne réalité et pour
que je retrouve toujours le courage de mener ectte lutte, je puis me souvenir
que j'ai une valeur absolue et inconditionnelle aux yeux de Dieu. Tel est le
sens de son incarnation en Jésus. Tel est le sens, chez l'apôtre Paul, de la
justification par grâce (et non par les oeuvres dont fait partie mon travail).