Pourquoi cette souffrance face à un idéal inatteignable?

Chère Nanouz,

Votre question montre que vous avez déjà travaillé ce problème en profondeur
et que vous avez trouvé un élément de réponse : "laisser la place à l'existence
de Dieu et à sa grâce".
Romains 7 est en effet un texte passionnant et difficile qui rencontre de profonds
échos avec ce que nous vivons "existentiellement", il ne faut d'ailleurs pas
l'isoler de Romains 8 où Paul exprime sa louange pour la résolution de ces conflits
par l'Esprit divin.
Je vois deux niveaux de lecture à ce texte de Romains : d'abord cette affirmation
que l'être humain n'est pas en parfaite adéquation à soi-même, qu'il n'est pas
totalement transparent à lui-même, qu'il y a toujours une faille , une césure
(et ne trouvez-vous pas que Paul rejoint là les intuitions de la psychologie de l'Inconscient?)...
C'est l'expérience déchirante que vous évoquez...Et Paul dirait la même chose
que vous, cette faille intime , nous n'avons pas à chercher à la combler par
nous-mêmes (par nos oeuvres), c'est un espace où Dieu peut agir et où Sa grâce
nous est promise (Cf. en II Cor 12, la prière de Paul pour que l'écharde dans
sa chair lui soit ôtée et la réponse qu'il reçoit: "Ma grâce te suffit"). La
Grâce de Dieu, dit encore Paul, s'accomplit dans notre faiblesse, non en supprimant
cette faiblesse, cette faillibilité, cette finitude, mais plutôt en nous permettant
de vivre avec nos contradictions, sans ce terrible sentiment de culpabilité.
Mais si l'on regarde le contexte de la vie de Paul, on peut aller encore plus
loin: Paul était un pharisien exemplaire, tout d'un bloc, sans failles...Dans
la rencontre avec le Christ, il découvre que c'est justement son "infaillibilité",
sa perfection qui se retourne contre les autres dans la persécution (cf. ce retournement
en Philippiens 3). Paul voulait faire le bien en accomplissant scrupuleusement
la Loi, mais son perfectionnisme l'a conduit à se leurrer sur lui-même, à compter
uniquement sur ses forces, à l'orgueil spirituel et au fanatisme persécuteur.
La rencontre avec le Christ a permis à Paul de se découvrir faillible, fragile,
vivant dans la finitude, et lui a fait découvert alors cette grâce divine qui
agit lorsque nous renonçons au mauvais infini de la perfection (l'expression
est du philosophe Ricoeur) pour nous accueillir dans notre incomplétude heureuse...Heureuse
car créatrice de relations vivantes (avec soi-même, avec Dieu et avec les autres)