Les mystiques protestants et le détachement
Bonjour,
Il me semble que l'idée de détachement /
dépouillement est au coeur de la définition même de la mystique. On peut en
effet définir toute mystique comme la quête d'une union à Dieu (à
Pour parvenir en effet à l'union avec Dieu,
il est nécessaire de se détacher de notre moi (ego) qui ramène tout à lui-même
et se place au centre de perspective et de jugement. C'est le sens du
détachement, qui n'est pas tant un détachement des biens matériels, mais de
nous-mêmes par rapport à ces biens. Le détachement matériel est toujours lié à
un détachement de soi-même, de sa personne, de son ego. C'est l'enseignement
classique de Maître Eckhart qui affirme :
"Ce que nous nous persuadons alors: que l’on doit
fuir ces choses-ci et rechercher celles-là, ces supputations de lieux et de
gens, de manières, de directions, d’occupations – ce n’est pas la faute de cela
si la situation ou les choses ont été pour toi un obstacle! Mais ce qui est
l’obstacle, c’est toi-même dans les choses. Ta position vis-à-vis des choses
est à l’envers. Mets donc le levier en toi et quitte-toi! Car en vérité! si tu
ne te fuis pas d’abord, alors où que tu fuies, tu trouveras toujours
empêchement et trouble. (…) Mais comment doit-on s’y prendre? Tout d’abord se
quitter soi-même. Par là on a aussi quitté toutes choses. Sans exagération: si
quelqu’un quittait un royaume, oui, le monde entier, et se gardait, il n’aurait
rien du tout quitté! Oui et s’il se renonce, il peut garder ce qu’il veut,
richesse, honneur ou quoi que ce soit: il a renoncé à tout. (…) Notre Seigneur
dit: “Qui veut me suivre, qu’il renonce d’abord à lui-même!” C’est là
toute la question. Va à ta recherche et là où tu te trouves, quitte-toi! c’est
ce qui est le plus salutaire. Et sois persuadé qu’il n’y a encore jamais eu
personne en cette vie qui ne se soit tellement renoncé, qu’il ne trouve
toujours le moyen de se renoncer davantage. Il y a peu de gens qui comprennent
bien cela et restent fermes là-dessus. Il est juste de rendre la pareille et
c’est un marché équitable: dans la mesure où tu sors des choses, dans la même
mesure exactement, ni plus, ni moins, Dieu
entre en toi avec tout ce qui est à lui"
On voit bien la dimension évangélique de cet
enseignement. Il est donc normal de retrouver ce thème chez les mystiques protestants.
Je donnerai comme exemple le mystique "visionnaire" Jakob Böhme qui
écrit :
Dans De la vie au delà des sens, qui
se présente comme un entretien d'un disciple avec son maître, Böhme reprend les
thèmes de la désappropriation de soi-même, de l'anéantissement de l'homme pour
laisser la place en lui à l'Amour qui le transporte en Dieu.
"Le
disciple: Cher maître, où dans l'homme est la demeure de l'Amour?
Le
maître: Là où l'homme ne demeure pas, c'est là qu'Il a en l'homme sa demeure.
Le
disciple: Quel est ce lieu que l'homme en lui-même n'habite pas?
Le
maître: C'est l'âme entièrement abandonnée, lorsque l'âme meurt à sa volonté
propre et ne veut plus rien elle-même hormis ce que Dieu veut. C'est là que
l'Amour a son habitation. Car, dans la même mesure où la volonté propre est
morte à elle-même, l'Amour a occupé la place. Là où précédemment résidait la
volonté propre, à présent il n'y a rien. Et là où il n'y a rien, l'Amour de
Dieu seul est agissant".